La personne SDF ou l'invention de la figure sociale de "l'être au rebut" : approche sociologique d'une littérature autour d'une altérité négative.
Établissement de soutenance : Université Paul-Valéry Montpellier, 2016
Thème : Lien social-Précarité
Mots-clés : Sans domicile fixe ; Exclusion sociale ; Représentation sociale ; Sociologie ; Littérature ;
Discipline : Sociologie
Région de soutenance : Occitanie
Directeur(s) : Fleurdorge, Denis
Numéro national : 2016MON30050
Permalien Sudoc : https://www.sudoc.fr/201301180
Résumé : De nombreuses thèses de grande qualité ont été rédigées autour de la situation sociale de la personne sans domicile fixe. La présente thèse aborde ce même thème, mais sous un angle singulier. Le raisonnement adopté consiste à établir de quelle façon la personne SDF peut être « inventée » en une figure de l'être au rebut. En perdant son travail, son réseau social et son domicile, le SDF quitte les espaces normés de la société. Il fait toujours partie de la structure sociale, mais relégué au plus bas de celle-ci, comme remisé dans un fond du panier social. C'est dans cet espace (physique et mental) que la société assigne à résidence ce(ux) qu'elle ne veut pas voir. Cette configuration sociale où le SDF peut être traité comme la pièce défectueuse d'une production, l'objet de qualité médiocre qu'on met de côté ou quelque chose de négligeable qu'on jette tel un déchet. Le SDF serait condamné au rebut social. J'ai découvert la référence à une figure de l'être au rebut dans un texte de l'écrivain Herman Melville. La nouvelle Bartleby, le scribe est le point de départ de ma réflexion sociologique. Le concept d'exclusion sociale me semble insuffisant pour décrire une dynamique de mise au rebut, notamment en raison de son approche binaire (dedans/dehors). Par conséquent, j'ai fait le choix de démarches heuristiques plus en phase avec l'idée de processus d'expulsion d'un lieu de vie sociale, d'une perte progressive d'appartenance sociale. Ainsi, les chercheurs initiateurs des concepts de disqualification sociale (Paugam) et de désaffiliation sociale (Castel) m'ont été d'une grande utilité. Le SDF est défini négativement, son acronyme signale la lacune et l'absence. Son identité sociale pâtit d'une altérité négative conférée par le regard stigmatisant du groupe social dont il est issu. À côté de la figure-repoussoir du SDF, je propose une notion que je nomme figure-rebutoir. Par rebutoir, je veux faire entendre d'abord la dimension de rebut, mais également celle de butoir. Cette figure sociale de l'altérité négative est parfois considérée par le corps social comme une pierre d'achoppement. Elle nous effraie parce qu'elle représente cette humanité détériorée que nous craignons de devenir un jour. En effet, la personne SDF assure parfois la fonction d'épouvantail social. Une des particularités de cette thèse réside dans la double origine de ses sources épistémologiques. D'une part, les sociologues m'ont fourni une boîte à outils efficace pour saisir le sens de cette mise au rebut. D'autre part, des écrivains concernés par une question sociale m'ont donné accès à un corpus pratique et opérant. Lesdits romanciers ont immergé leur fiction dans un univers social où le personnage-SDF tient une place importante. Ces deux savoirs, sociologique et littéraire, concourent à doter cette thèse d'une épaisseur épistémologique indéniable. En effet, force est de constater que, bien souvent, sociologues et écrivains expriment des points de vue connexes et que leurs méthodes respectives sont complémentaires. Le SDF, figure sociale de l'être au rebut ? Mes recherches témoignent de sa mise à l'écart, d'un mépris social à l'encontre de cet homme « domicilié » dans l'espace public, d'un refus de la société de reconnaître que c'est son fonctionnement qui le disqualifie et le désaffilie. La personne SDF est environnée d'objets rebutés : elle récupère les aliments périmés jetés par les commerces, elle se vêtit de vêtements que les autres ont déjà portés et ne veulent plus, elle se confectionne un abri de fortune avec des matériaux de récupération, elle gagne quelques pièces de monnaie grâce à la collecte de cannettes de soda ou de métaux. La proximité avec le rebut porte atteinte à sa dignité et peut l'assimiler à du rebut humain. En effet, la personne SDF peut devenir personne aux yeux des autres, et dès lors se vivre comme rebut d'elle-même.